
Les chercheurs de l’Université de Tel-Aviv participent à l’identification génétique des corps en temps de guerre
L’assassinat immonde de Shiri Bibas et de ses deux enfants Kfir et Ariel a remis en lumière les défis présentés par l’identification génétiques des corps des victimes depuis les massacres du 7 octobre. Le Prof. Noam Shomron, de la Faculté des sciences médicales de l’Université de Tel-Aviv, commandant de réserve de Tsahal, qui a effectué plus de 400 jours de service au sein de l’équipe du Centre génomique d’identification des corps de la base militaire de Shura, où ont été transportées la plus grande partie des restes des personnes assassinées lors du terrible carnage, explique la complexité de cette démarche, sa signification, et la souffrance qu’elle comporte.
Personne n’avait préparé les équipes du Centre génomique d’identification des corps de Tsahal au spectacle atroce des cadavres, souvent méconnaissables, des personnes assassinées ou tombées au combat le 7 octobre. « Nous n’avons jamais vu de telles images auparavant, certainement pas en telle quantité, ni présentant une telle complexité d’identification. C’est un événement sans précédent », raconte le Prof. Shomron. « En quelques semaines, d’innombrables fragments de corps sont arrivés dans un état difficile, et complexes à identifier ».
24 heures sur 24, 7 jours sur 7
Parmi les nombreux défis qui se sont posés aux autorités de l’État d’Israël à la suite des événements du Shabbat Noir, celui de l’identification des corps des personnes assassinées avant leur inhumation a été l’un des plus délicats et des plus douloureux. Dans certains cas, il n’était pas possible d’identifier le corps visuellement, et pour le faire, les équipes ont eu besoin de l’aide d’anthropologues et d’archéologues, de biologistes, de dentistes et de médecins. Dans de nombreux cas, le seul espoir a été l’identification par échantillons d’ADN.
Les méthodes existantes d’identification par ADN restent très traditionnelles et sont appliquées de la même manière partout dans le monde. Elles s’appuient généralement sur une « empreinte digitale » génétique (séquence microsatellite, en anglais short tandem repeats), séquence d’ADN formée par la répétition continue de motifs, qui diffère selon les personnes, permettant de déterminer la parenté et l’affiliation génétique. « Cette empreinte ADN est spécifique à la personne, et donc le risque de trouver un autre individu avec la même, et donc possédant le même profil génomique, est de l’ordre de un sur dix milliards, en fait supérieur au nombre de personnes sur terre ».
Le Prof. Shomron explique que jusqu’à présent, le processus d’identification des victimes par profilage d’ADN prenait environ huit heures. Mais la succession interminable des événements au cours de l’année écoulée a nécessité le développement de méthodes particulières afin de réduire ce temps sans compromettre la précision. « Au début de la guerre, un grand nombre de réservistes scientifiques talentueux ont été recrutés et en quelques heures. Le laboratoire a commencé à fonctionner 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et a continué de le faire après le début des manœuvres terrestres à Gaza et avec les combats au Liban ».
Un profil ADN en deux heures
Selon le Prof. Shomron, l’extraction de l’ADN comprend cinq étapes principales : réception de l’échantillon et sa caractérisation, extraction et purification de l’ADN à partir des échantillons obtenus, vérification de la quantité d’ADN, amplification de marqueurs spécifiques dans l’ADN et enfin, lecture de la séquence de l’ADN obtenu. « Chacune de ces étapes peut être affinée séparément, et c’est ainsi que le laboratoire a fonctionné au cours de l’année écoulée. En parallèle, l’équipe a mis en œuvre des méthodes et des équipements de pointe qui ont permis d’obtenir un profil ADN en deux heures, et qui n’a pas d’équivalent dans les organismes parallèles. Le laboratoire a inclus un processus permettant d’analyser plusieurs échantillons simultanément, et donc, s’il est nécessaire d’extraire l’ADN d’un grand nombre de victimes, nous pouvons le faire en peu de temps ».
Au cours de l’année écoulée, les équipes du Centre se sont heurtées à des situations où même l’extraction de l’ADN était très difficile, en raison de la nature des événements et de la complexité des résultats. Pendant la guerre, le personnel du laboratoire de génomique a collaboré avec ses homologues de l’armée américaine, aboutissant à la mise en œuvre de méthodes avancées d’identification des victimes. « Le personnel du laboratoire, dont j’ai fait partie, a partagé des connaissances avec divers laboratoires médico-légaux aux États-Unis, au Canada et au Brésil. Nous pouvons dire que nous sommes très avancés dans ce domaine et que, malheureusement, nous avons acquis beaucoup d’expérience. Il y a beaucoup à tirer de l’expérience et des processus et méthodes de travail que nous avons développés par suite de la guerre ».
« Parfois, les réseaux sociaux portent atteinte à la sécurité de l’État et des familles des soldats »
« Deux objectifs principaux dictent nos méthodes de travail. Le premier est que la famille reçoive le message définitif de l’état de l’identification par le biais d’un responsable militaire officiel. Le deuxième est que tous les fragments appartenant au défunt soient inhumés dans la dignité et que rien ne soit laissé en arrière. Pour remplir le premier objectif, nous sommes tenus de travailler en un temps record, sans compromettre la qualité et la précision des résultats. Ces dernières années, les réseaux sociaux sont devenus des media à part entière. Depuis le déclenchement de la guerre, nous avons été également exposés aux conséquences négatives qui en découlent, principalement les vagues incessantes de rumeurs. Des familles d’otages et de soldats ont parfois dû apprendre la triste nouvelle par les réseaux Telegram ou WhatsApp. Les réseaux sociaux n’ont aucune responsabilité sociale et ne sont pas soumis à la censure, ce qui est très problématique. Délivrer un message de cette manière est non seulement irresponsable pour la sécurité du pays, mais blesse également considérablement les sentiments des familles des défunts. Au laboratoire, nous sommes conscients de ce problème et tentons de répondre à notre mission d’identification dans les plus brefs délais possibles. Parfois, les réponses que nous fournissons déterminent les décisions opérationnelles des forces sur le terrain ».
Outre l’importance du travail réalisé au Centre, il est impossible d’ignorer la nature du travail de l’équipe, y compris le Prof. Shomron, qui passe de longues heures, jour et nuit, à travailler en présence de la mort, et la douleur psychologique qui l’accompagne. « L’armée a recruté des thérapeutes qui surveillent la résilience de l’équipe du laboratoire et s’assurent que nous pouvons poursuivre notre travail », explique le Prof. Shomron. « Nous comprenons l’importance de ce travail, ce qui aide à y faire face au quotidien, et à persévérer pour continuer d’apporter une réponse définitive au processus d’identification ».
Comment revient-on à la vie normale en fin de journée ?
« À la fin de chaque journée de travail, chacun d’entre nous a sa propre routine, une sorte de « rituel » qui l’aide à se libérer des images de la journée et à rentrer chez lui. Certains téléphonent à quelqu’un sur le chemin du retour, d’autres écoutent des chansons ou se changent tout de suite ».
Il ajoute : « Paradoxalement, la réussite de notre travail consiste à apporter une certitude quant à la détermination du décès pour la famille d’un soldat tombé au combat. Nous choisissons toujours de présenter la réponse comme un succès (avec sensibilité), puisque l’alternative est l’incertitude, pour la famille comme pour l’État, avec tout ce que cela implique. »
« L’un des slogans de la guerre est « Ensemble, nous vaincrons ». Depuis le 7 octobre, notre peuple a subi un coup dur. Compte tenu du climat qui prévalait dans les mois précédant la guerre, nous avions tous besoin d’un rappel du mot « ensemble » pour comprendre que c’est la seule façon de gagner. Au Centre génomique d’identification des corps, qui dépend du Rabbinat militaire, servent côte à côte des hommes et des femmes, ultra-orthodoxes, religieux ou laïcs, des habitants du centre et de la périphérie, qui sont devenus ma seconde famille. Et si le Centre est un microcosme de la société, je suis sûr que nous gagnerons. Il n’y a rien que nous ne puissions résoudre ensemble ».
L’équipe dirigeante du laboratoire comprend le chef de la section d’identification médicale du rabbinat militaire, le Dr. Alon Oz, Reuven Berdugo, directeur administratif du Centre génomique pour l’identification des soldats tombés au combat, et David Shor, directeur scientifique du Centre.
Photos :
1. Le Prof. Noam Shomron (debout) et ses collègues du Centre génomique d’identification des corps
2. Le Prof. Noam Shomron (Crédit: Rafael Goldberg)